Élisabeth
Badinter : « La soumission au religieux est un désastre »
!
30
septembre 2013
La
philosophe Élisabeth Badinter dénonce la peur de la gauche devant
l’oppression du religieux.
Elle
a donné une interview appelant à se battre pour la laïcité et
balayant les allégations vicieuses des nombreux « idiots
utiles » de l'islamisme qui sévissent à
gauche. La phrase d’Elisabeth Badinter qui fâche un certain
microcosme bobo-gôcho, est tirée d’une interview donnée au Monde
des religions en septembre 2011, par la chercheuse passionnée par
l’époque des Lumières et ses philosophes : « En
dehors de Marine Le Pen et de Manuel Valls, plus personne ne défend
la laïcité » Et la voilà taxée de
« laïcité lepénisée ». Elle
s'est expliqué devant la journaliste belge Béatrice Delvaux dans un
article publié dans le journal belge Le Soir. Elle répond à ses
accusateurs, soulignant – ce que ses détracteurs omettent – que
sa remarque mentionnait dans cette interview Marine Le Pen et Manuel
Valls
« Ceux
qui me traitent de lepéniste sont de mauvaise foi. Il est évident
qu’en citant Marine Le Pen, je voulais souligner sa perversité.
Par ailleurs, je ne suis pas l’avocate d’une laïcité dure, ni
fermée, ni ouverte, ni même positive. Je milite pour le respect de
« la » laïcité. »
L’obscurantisme
est-il de retour, selon vous qui avez consacré votre vie à l’étude
des « Lumières »?
Vous
appuyez là où ça fait mal. Ce sont d’ailleurs les propos que je
vais tenir à l’université ce vendredi. Je
pense profondément que nous sommes dans une période de régression
et que la philosophie des Lumières est de plus en plus battue en
brèche.
Ce
que nous avons peut-être eu la faiblesse de considérer comme
acquis, est remis en cause tous les jours. Il
me paraîtrait impensable qu’on puisse annuler la peine de mort, et
en même temps, je me dis qu’il pourrait y avoir une volonté de le
faire. Cela vaut aussi pour la politique de la justice, le traitement
de la délinquance. Et la laïcité.
Pourquoi
ce retour en arrière ? La faute aux circonstances économiques ?
Elles
sont de fait la cause essentielle, – quand on a peur, on est en
état de régression. La délinquance, qui est réelle, se nourrit de
l’absence de travail. Mais la crise économique n’explique pas
tout. Pour moi, la diffusion de plus en plus
grande dans le monde entier, du multiculturalisme, est un désastre.
C’est-à-dire
?
Avec
le multiculturalisme, on a grignoté peu à peu la raison
universelle, qui veut qu’on pense d’abord à ce qui nous unit,
avant ce qui nous distingue.
Aujourd’hui,
on considère que le droit à la différence est le summum de la
liberté. La philosophie anglo-saxonne du « différentialisme »
domine: chacun, dans sa communauté, fait ce qu’il veut. Cela
revient à signer d’une certaine façon la mort de la philosophie
des Lumières, qui a résonné en termes tout à fait opposés. Elle
proclame en effet que pour avancer, il faut considérer les
essentielles ressemblances entre tous les êtres humains, quelles que
soient nos différences.
Ainsi,
en votant le mariage pour tous, la France – un pays qui n’est pas
à l’avant-garde –, a – enfin – considéré les homosexuels
comme identiques à nous, appartenant au même genre humain avec les
mêmes droits. On a appliqué la philosophie de la ressemblance.
C’est une victoire. Peut-être la dernière.
Vous
êtes pessimiste ?
Oui,
parce que cette philosophie multiculturaliste séduit énormément
les jeunes, qui trouvent qu’on appartient d’abord à sa
communauté, avant d’appartenir à une collectivité plus large.
C’est chacun chez soi. J’ai très peur de régressions. Cet
enfermement, cette fierté de la différence sont terribles. Au
contraire de la philosophie qui met en exergue ce qui nous unit, et
qui est, elle, un puissant facteur de paix entre les hommes.
Que
faut-il pour renverser cette tendance au repli ?
Il
faut convaincre et tenir à certains principes. C’est au nom
de ces principes que j’ai lutté contre la Burqa. Il faut aussi
développer la tolérance.
Le
multiculturalisme pourrait pourtant être considéré comme le rejet
du racisme, puisque la différence est valorisée ?
Le
multiculturalisme, c’est le séparatisme, et pas la solidarité,
car chacun s’aligne sur sa communauté et l’universalisme se
meurt.
Mon
pessimisme se fonde aussi sur le retour en force du religieux. Les
religions, puisque c’est elles qui nous séparent, ne sont pas des
facteurs de paix dans une certaine partie de la population. Je dirais
même que plus que le religieux, c’est le cléricalisme qui est en
cause. La loi religieuse veut de plus en plus imposer sur l’espace
public. Et je le dis autant pour les salafistes, les musulmans
radicaux que pour la montée en puissance de l’orthodoxie chez les
Juifs. J’ai ainsi été stupéfaite par cette
tentative des Juifs extrémistes de Jérusalem l’année dernière
de séparer les sexes dans les bus et d’instaurer une police de la
jupe.
Je
pense que les Musulmans, Belges ou Français ont besoin aussi qu’on
les aide et qu’on les encourage à un Islam des Lumières, qui a
pris en compte l’évolution du temps. Mais il ne faut pas être
naïf, il existe des sectes – les salafistes – qui mènent une
guerre de tranchées visant à enfoncer nos propres principes. C’est
inadmissible. Et là, il faut tenir. L’espèce
de soumission à la religion, de l’extrême gauche et d’une
grande partie de la gauche, est un désastre. Comme si le religieux
devait l’emporter sur tout et que tous devaient se soumettre à ses
diktats.
A
l’ULB ( Université Libre de Bruxelles ),
où vous serez prochainement distinguée, ce débat est très vif.
Entre les partisans d’une laïcité très stricte et ceux d’une
laïcité ouverte aux expressions religieuses? La journaliste
essayiste Caroline Fourest a ainsi été prise à partie ?
J’ai
vu les images. C’est d’une violence extrême, qui n’a pas sa
place à l’université.
Qui
sont les porteurs de Lumières ?
Nos
démocraties occidentales sont horrifiées à l’idée d’être
accusées d’intolérance. Et comme au moindre mot qui n’est pas
conforme à l’acceptation générale, vous êtes taxé
d’islamophobe, d’antisémite, de raciste, de lepéniste, la peur
d’être stigmatisé ferme la bouche à beaucoup de gens. Ce qui me
chagrine le plus, c’est que la gauche, que je respecte, a été
saisie par cette terreur. Or il ne faut pas
avoir peur, mais avoir le courage de tenir sur ses principes.
L’étude
du passé vous aide-t-elle à comprendre comment la raison peut se
réimposer ?
La
leçon à tirer du passé est qu’il y a toujours un moment de
révolte. Dans l’histoire de la philosophie des Lumières, il y a
un moment où l’oppression exercée par les lois religieuses est
trop forte, alors qu’elle est appliquée à des gens qui évoluent
intellectuellement et socialement. Et ces gens disent « ça
suffit ». Cela peut prendre des siècles évidemment. Ce qui
me fait peur dans la régression actuelle, c’est le refus de
l’enseignement, de la part d’enfants dans certaines écoles
publiques. Car c’est à l’école qu’on
apprend à exercer sa raison critique, à essayer de mettre un peu à
distance ses préjugés et ses croyances.
C’est
l’école qui s’adapte à ces croyances ?
Exactement.
On est passé du « cogito » au « credo ». Le mot d’ordre dans
beaucoup d’écoles est: « Surtout ne choquez
pas les croyances et les préjugés de vos élèves.» Si
on ne peut plus apprendre l’esprit critique à l’école, où
d’autre ? C’est impossible.
Une
autre forme de repli sur soi, nationaliste et régionaliste est très
présente en Europe ?
C’est
un repli identitaire – ma région, mon pays d’abord – et c’est
affligeant. Que ce soit d’un côté ( ma religion ) ou de l’autre
( ma région ), c’est le triomphe du différentialisme.
Le
politique a encore la capacité à faire changer les choses ?
Bien
sûr. Il suffit d’un homme de grand talent et doté de charisme.
Pour le moment, on en manque sérieusement. Partout. Nous sommes dans
une « honnête médiocrité ». Il y a de grandes
personnalités qui émergent, mais pour l’instant, il n’y a pas
de parole fédératrice forte autour d’un projet. En France
notamment, tous sont un peu tirés du même moule, soumis au
politiquement correct: on a du mal à avoir une parole totalement
sincère parce qu’on a peur de heurter l’un ou l’autre. Du
coup, on a une espèce d’eau tiède un peu partout.
On
a cru en Obama ?
Quelle
déception ! Il avait séduit le monde entier, tous voulaient un
Obama chez eux. Ah ! s’il avait eu un peu
plus de consistance politique. On peut changer le monde avec
la parole. La politique n’est pas morte, à condition d’avoir du
courage.
Le
Premier ministre belge Di Rupo essaye depuis trois ans d’éviter
une séparation et de faire vivre ensemble deux communautés
déchirées. Cela vous inspire-t-il un commentaire ?
Je
vois cela de très loin, mais j’admire ceux qui ont l’art du
consensus. »
Propos
recueillis par BÉATRICE DELVAUX publié dans le journal belge Le
Soir
[
J'ai colorisé en bleu
les caractères de chacune des questions et en bordeaux
une partie des paragraphes. Crab - 02 Octobre 2013 ]
Suite :
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La poésie dit l'essentiel avant que la philosophie ne s'en mêle, et dans toute l'histoire de la vie spirituelle de l'humanité il n'y a jamais qu'un seul créateur, le poète, ainsi qu’un unique miracle, la musique.
.
Athée libertaire et non athée chrétien, amoureux des arts et plus particulièrement de l'Opéra.
Prioritairement engagé pour combattre l'antisémitisme et participer au débat public afin de réunir les conditions d'un changement ouvrant la voie à une démocratie avancée. En remplaçant le système politique actuel jacobin ou monarchique par une république girondine.
Claude Bouvard
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